Pélerinage chez les maîtres éminents
Reikai Vendetti et Luc Boussard
Un peintre et un écrivain nous proposent un voyage dans la tradition du zen. Portrait et enseignements des maîtres du passé.
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Collection : SpiritualitéNombre de pages : 148
Format : 150 x 225 mm
Date de parution : novembre 1999
ISBN : 2-911074-22-X
37,00€
Peintures de Reikai Vendetti, textes de Luc Boussard
Avant-propos
Préface
TOZAN, Le paysan
BODHIDHARMA, Le brahmane contemplateur de mur
EKA, L'esprit de tous les bouddhas
MANURA, Le yogi
BUDDHANANDI, Le chercheur de vérité
NACARJUNA, Le père du mahayana
ANANDA, L'humble serviteur
MAHAKASYAPA, Le buveur de lumière
BOUDDHA, L'éveillé
IKKYU, Le saint débauché
WANSHI, Le maître invisible
SOSAN, Le patriarche lépreux
SEKITO, Sommet glissant
BASO, Bouddha face de soleil Bouddha face de lune
ENO, Le laïc inculte
HYAKUJO, Océan de sagesse
JOSHU, Le vieux Bouddha
NYOJO, Le métal brut
DOGEN, La source de la voie
EJO, L'éternel disciple
KEIZAN, La mère du zen
RYONEN, Coeur de sagesse
RYOKAN, Le grand imbécile
FUGAI, Le moine des cavernes
GENSHA, Celui que rien n'arrête
TENRYU, Le maître qui levait le pouce
KANNON, Le sauveur
FUYO DOKAI, Moine sauvage
OBAKU, Celui qui tranche les complications
UNMON, L'empereur
TOKUSAN, Chou de diamant
ISAN, Le parfait instructeur
HAKUIN, L'homme des extrêmes
YOKA DAISHI, Maître de l'éveil d'une nuit
TAISEN DESHIMARU, Le fondateur
KODO SAWAKI, Le moine sans demeure
HANSHAN, Le saint fou
Reikai Vendetti par lui-même
Glossaire
Liste alphabétique des maîtres
Lignées de succession des maîtres
Ejo L'éternel disciple
C'est une seule et même lumière qui harmonise en un tout les gens du satori et ceux de l'illusion.
Ejo avait déjà vingt-neuf ans lorsqu'il rencontra Dogen. Il était son aîné de deux ans et avait derrière lui de longues années de recherche. Sur les remontrances de sa mère, qui lui avait dit un jour : " Mon souhait en te laissant renoncer au monde n'était pas de te voir devenir un prêtre de haut rang et ne fréquenter que l'aristocratie ", il avait abandonné l'étude scolastique pour devenir adepte de la Terre Pure, puis de la Daruma shu, dont il approfondit les enseignements pendant plusieurs années auprès de maître Kakuan. Nombreux parmi les grands disciples de Dogen furent ceux qui, tels Ejo et Gikai, venaient de la Daruma shu. L'enseignement de cette école, qui insistait sur la formule " cet esprit-même est Bouddha " (sokushin zebutsu) se prêtait sans doute à des dérives " quiétistes " et " naturalistes " (pourquoi se donner de la peine si l'illusion et l'éveil sont identiques ? - un questionnement qui ne pouvait pas manquer de rappeler à Dogen les doutes de sa jeunesse), et il n'est pas impossible que l'arrivée d'un groupe compact de disciples adeptes de cette lignée ait modifié l'enseignement de Dogen, dans son contenu comme dans ses méthodes.
C'est en tout cas ce que suggère le récit de la rencontre entre Dogen et Ejo. Tout au long de la première phase d'un entretien qui dura plusieurs jours, Ejo fut profondément ému de constater que leurs pensées ne divergeaient en rien : ainsi, ce qu'il avait appris au Japon n'était autre que l'authentique enseignement transmis d'Inde en Chine. Puis soudain Dogen se mit à lui exposer une toute autre compréhension du dharma*. Après avoir essayé de résister et d'argumenter, Ejo se rendit compte qu'il avait affaire à un point de vue supérieur et qu'il ne pouvait que s'incliner. Dogen avait-il soudain pris conscience du potentiel de ferveur et d'honnêteté que recelaient Ejo et les autres disciples de la Daruma shu, mais aussi du risque d'égarement que présentait l'enseignement de cette école ? Toujours est-il qu'à partir de là, il renonça à un prosélytisme tous azimuts pour se consacrer plus précisément à l'éducation de quelques proches disciples, tandis que son enseignement se faisait moins œcuménique, plus critique vis-à-vis de ce qu'il considérait comme les hérésies des autres courants.
Dogen dit à Ejo qu'il n'avait pas les coudées franches au Kenninji pour répandre la voie authentique dont il était l'héritier, mais qu'il aurait bientôt un temple bien à lui où il l'invitait à le rejoindre. Et de fait il s'installa peu après au Koshoji, où Ejo alla le retrouver ; commença alors une étroite collaboration qui devait durer jusqu'à la mort de Dogen. Le Denkoroku* nous dit que " pendant vingt ans, Ejo suivit Dogen comme une ombre suit son propriétaire et ne cessa jamais d'être son assistant ". Du vivant de son maître, il fut sans cesse à ses côtés - à l'exception de dix jours où la maladie l'en empêcha -, compilant son enseignement (notamment le Shobogenzo*), l'aidant à organiser le fonctionnement du temple, à célébrer les cérémonies, mais surtout retournant toujours auprès de lui, une fois ses autres tâches accomplies, pour recevoir son instruction personnelle, son enseignement " de cœur à cœur " (i shin den shin). La relation entre le maître et le disciple était parfaitement harmonieuse ; " ils étaient devenus un dans la voie, dit le Denkoroku*, chacun illuminait l'autre de sa lumière intérieure. Ils étaient comme l'eau qui se mélange à l'eau, la vacuité qui s'harmonise à la vacuité. "
Sans doute le dévouement du disciple au service du maître n'était-il pas nouveau dans le zen, où il appartient à une tradition illustrée par de glorieux exemples, à commencer par le couple Ananda-Shakyamuni, ou Eka-Bodhidharma. Mais Ejo lui donna une dimension inégalée en le prolongeant par delà la tombe. En effet, pendant les vingt-sept années qui séparèrent sa mort de celle de Dogen, il brûla chaque jour de l'encens dans la chambre de son maître, et il voulut ensuite que ses propres cendres reposent à côté des siennes. Cette fidélité continue de faire l'admiration de l'école soto*, qui considère qu'elle est la marque d'une pureté d'intention indispensable à la transmission de l'enseignement authentique.